Papa venait de fêter son anniversaire, et demain ce sera notre tour, à Mère et moi : nous avons en effet la même date d'anniversaire, malheureusement.
Depuis, mes parents ne cessaient de s'embrasser, se câliner, bref, ils étaient encore plus collés que d'habitude : j'avais le mauvais préssentiment qu'une petite soeur était en préparation, hélas.
Le " grand jour " arriva, et, chose étonnante, mes parents avaient acheté un gâteau pour moi, chose que les membres de la famille Gothik n'avaient jamais faite. Ensuite, mes parents me chantèrent " Joyeux anniversaire ", me conseillèrent de faire un voeu.
Je fis le voeu que mes parents restent ainsi pour toujours, et je soufflais les bougies. Une larme roula le long de la joue de Mère à ce moment là.
- Que se passe-t-il, Mère ?
- Il ne se passe rien, Vladimir... C'est l'émotion de voir mon petit garçon grandir, c'est tout... Tu es devenu un beau jeune homme, maintenant...
Ma mère. L'émotion de me voir grandir. Ca ne lui ressemblait pas. Quelque chose ne tournait pas rond aujourd'hui.
- Aujourd'hui, Vladimir, tu iras pêcher avec ton père, d'accord ? Sur le chemin du lac, il pourra t'apprendre à conduire, comme ça...
Je hochais la tête, ne sachant de toutes manières ce que je pourrais répondre d'autre, bien que le fait de me retrouver seul à pêcher avec mon père m'inquiète quelques peu.
- S'il te plaît Vladimir, va plus vite...
Père regardait le manoir s'éloigner dans le rétroviseur avec angoisse, tout en tournant et retournant son alliance autour de son annulaire.
- Quelque chose ne va pas ?
- Tout va très bien Vladimir... Bon sang, regarde la route quand tu conduis !
L'après-midi fut cependant agréable, nous avions avec mon père des conversations philosophiques très intéressantes, notamment parce qu'il disait que les esprits des morts revenaient parmi les vivants, ce que je contestait, évidemment : les fantômes n'existent pas.
Nous fûmes dérangés une seule fois, peu après le déjeuner, par un coup de téléphone qui fit blêmir mon père. Il ne parla presque pas, et me dit simplement en raccrochant que c'était un appel professionnel.
Nous rentrâmes au soleil couchant, croisant les pompiers sortant de notre impasse. Mon coeur fit un bond. Un incendie, à la maison ? Et Mère, dans tout cela ? Je me précipitais hors de la voiture sans prendre le temps de la garer correctement, et courait dans la maison.
- Mais... Que s'est-il passé ici, Père ?
- Vladimir, écoute... Il faut que je te le dise, maintenant.
Je ne l'écoutais même pas, je sentais une odeur de brûlé encore plus forte venant du salon...
Et pour cause : il était lui aussi carbonisé, bien que les meubles eurent été sauvés... Comme si on les avait protégés d'une bâche. Il n'y avait qu'un tas de cendres sous la table basse, et c'était tout. Mon père était resté dans la cuisine, et me parlait depuis là-bas. Pourtant, je l'entendais comme s'il était à côté.
- Vladimir... C'est ta mère qui a déclenché cet incendie. Cornelia... ne supportait pas de vieillir, et ce matin encore en voyant son visage elle pleurait de se voir vieillie... Elle a aussi pleuré en te voyant, car elle savait qu'elle ne te verrait plus jamais, et ça alors que c'était votre anniversaire à tous les deux... Ta mère t'aimait énormément, Vladimir... Son plus beau cadeau d'anniversaire, c'est toi qui lui a fait, en venant au monde...
Je n'en croyais pas mes oreilles. Ma mère, Cornelia, s'était suicidée... Parce qu'elle ne voulait pas vieillir !
- Les pompiers que l'on a croisés... Ce sont eux qui l'ont enterrés, et ce sont eux qui m'ont appelé tout à l'heure... Excuse moi de t'avoir menti, fils, mais ta mère ne voulait pas que tu saches.
Mon père m'avait menti pour aider ma mère à mourir... Ma mère voulait absolument que j'apprenne sa mort en découvrant le massacre. Mon père n'a pas voulu la retenir... J'étais vraiment dans une famille de fous.
Je me suis rendu dans le cimetière privé, où j'ai bien évidemment trouvé la tombe de ma mère. Une petite tombe, car son corps avait été réduit en cendres par les flammes. Je voulais hurler, lui dire que je la détestais pour ce qu'elle avait fait, mais je n'y arrivais pas. Je ne pus que fondre en larmes en voyant l'épitaphe " Ci-gît Cornelia Gothik, heureuse épouse et mère comblée ". Mon père arriva derrière moi, et je devinais qu'il valait mieux que je l'évite... Et que je le laisse seul, aussi.
En m'éloignant, je l'entendis soupirer " Oh, Cornelia ", en sanglotant le plus discrètement possible, lorsqu'il s'écria soudainement " La cheminée ! " en fixant la fenêtre du salon : je compris que l'incendie avait repris. Père courut, me dépassa, et je compris ce qu'il avait l'intention de faire : je le rattrapai.
- Non !
- Vladimir, à quoi bon ? Je suis vieux moi aussi, j'ai perdu ma femme, et toi tu es déjà un homme... Je voudrais rejoindre Cornelia dans l'au-delà.
- Non... S'il te plaît, Papa !
Mon père s'arrêta, tout comme moi : je venais de l'appeler " Papa ". Il sembla réfléchir, avant de recommencer à monter les escaliers en murmurant :
- Je vais l'éteindre... En priant pour y rester. Je suis désolé, Vladimir.
Je marchai alors sur ses talons. Je voulais appeler les pompiers s'il se trouvait en mauvaise posture : je ne voulais pas perdre mes deux parents le jour de mon anniversaire.
Je vis avec horreur les images au ralenti : Père marchait vers les flammes, sans extincteur à la main, et lorsqu'il se retourna, je le vis sourire. Les flammes avancèrent vers lui. Et, alors qu'elles allaient le toucher, une femme apparut, que je reconnus comme était ma grand-mère Gretle... Ou son fantôme, bien que ce soit totalement irrationnel. J'entendis sa voix dire à mon père : " Non, Gunther ; ton fils a besoin de toi. Cornelia ne voulait pas cela ". Je vis mon père la regarder et, tirant l'extincteur à côté de lui, commencer à éteindre l'incendie, en prononçant quelques paroles que je n'entendis pas.
Dès que l'incendie fut éteint et que je fus sûr que Père était hors de danger, je me mis à courir. Je ne voulais pas rester ici. Pas cette nuit. J'entendis au loin mon père m'appeler, mais je l'ignorais. Je ne voulais pas rester là.
Mes mains tremblaient sur le volant de la Valva tandis que je faisais route vers la maison des Galantome.
Je devais voir Sonia. J'en avais besoin. C'était vital, je ne pouvais faire autrement.
Quand je me garais devant chez elle, elle attendait sur le perron, regardant avec angoisse vers le manoir. Lorsqu'elle me vit, elle se tourna vers la porte d'entrée en disant, probablement à l'intention de sa famille, " C'est bon, il est là ! ". Je sortis de la voiture, et je me précipitai vers elle.
- Vladimir ! Il... J'ai vu un incendie, au manoir, cet après-midi ! Oh mon dieu, tu vas bien ! J'ai eu si peur...
- Sonia... S'il te plaît... Est-ce que je peux rester ici, cette nuit ? Je ne veux pas rester chez moi...
- Bien sûr... Oh ! La police !
Je me retournais. En effet, une voiture de police arrivait bien. L'agent m'embarqua et me fit monter dans la voiture.
- Votre père est très inquiet, jeune homme. Ce n'est pas correct, de fuguer, vous savez ?
- Je ne veux pas dormir chez moi ! S'il vous plaît...
- Non ! Je lui dis quoi, moi, à votre père, si je ne vous ramène pas ? Hein ? Je lui dis " Votre fils est resté chez sa petite amie cette nuit " ?
- Sonia n'est pas ma petite amie, monsieur l'agent !
- Ouais, ouais... Allez, descendez maintenant !
Nous étions malheureusement déjà arrivés au manoir, et Père m'attendait sur le trottoir.
- Vladimir ! Es-tu fou ? Où étais-tu ? Je me faisais un sang d'encre !
- Je suis allé chez Sonia, tu aurais du t'en douter ! Tu sais, ma fiancée selon cette tradition débile !
- Et pourquoi diable es-tu parti ?
- Parce que...
Je sentis les larmes me monter aux yeux, et mon coeur se décrocher. Sans même réfléchir, je me jetais dans les bras de mon père.
- Parce que je voulais que Maman vive, parce que j'ai vu que tu voulais mourir, parce que j'ai vu le fantôme de grand-mère, parce que... Parce que j'ai peur ! Et Sonia était la seule qui aurait pu me réconforter...
- Allons, Vladimir, mon fils... Ca va aller. Je resterais avec toi aussi longtemps qu'il le faudra, et si ça peut te rassurer, les fantômes n'existent pas... Ce doit être une hallucination, rien de plus, mon fils...
Oui, c'était une hallucination... Ca ne pouvait être que ça.
Cette nuit là, je ne dormais pas, écoutant mon Père parler dans le salon carbonisé de tous ses bons moments passés avec Mère, et me raconter ma petite enfance, me disant à quel point elle m'aimait...
Pourtant, je ne pouvais m'empêcher une partie de mon esprit vagabonder, et penser aux vêtements très courts que Sonia portait ce soir-là...